Après tout. Philippe Forest

Publié le par Emmanne

Je l'ai emprunté à la bibliothèque de l'asso Apprivoiser l'absence, il fait partie des nouveautés achetée fin 2024. J'avais oublié que tous ses livres traient d'une façon ou d'une autre de la mort et du manque...

Lu d'une traite cette nuit en zappant ce qui ne parle pas directement du deuil mais de la littérature.

Du coup je vous le propose.

C'est un auteur que j'aime par sa douleur éternelle assumée,  sa détestation de la résilience obligée et son refus de la consolation . Il me fait du bien, je me reconnais.Sa Pauline, 3 ans, m'a hantée.

Je vous livre ma  sélection de citations de Forest piochées dans Babelio.Dont je vous colle le lien au cas où...J'ai choisi les plus sombres.J'écouterai un jour ses vidéos.

Après tout. Philippe Forest

Editeur:

Dans le cadre de la collection du centenaire des Puf, ouverte à des récits de vie et des savoirs de chercheurs, penseurs et écrivains voués à esquisser des horizons et ouvrir des voies d’espérance pour l’avenir, le romancier et essayiste Philippe Forest revient sur son œuvre traversée par l’idée de deuil, l’expérience de la perte et la question de la survie.
« J’écris pour recevoir du monde une réponse à la question que je lui pose et qui est identique à celle que, tous, écrivains ou pas, sous une forme ou sous une autre, nous lui adressons. », confie-t-il dans une conversation habitée par les souvenirs de jeunesse, par l’intérêt pour les avant-gardes, par une certaine conception de la littérature et de l’éthique politique. Au fil de l’entretien, l’écrivain met à nu tout ce qui l’anime et l’habite dans le fait d’écrire, de lire, de croire en la littérature, qui même si elle ne sauve de rien, porte sur les choses essentielles de la vie, de l’amour, de la mort. Pour lui, la littérature n’est pas là pour réparer la réalité mais pour porter témoignage de la part d’irréparable, d’irrémédiable que comporte l’existence.

Je dis mon hostilité à l'expression "faire son deuil" depuis mon premier roman, écrit il y a bientôt vingt ans. Déjà chez Freud, dans Deuil et Mélancolie, mais surtout telle qu'on l'entend aujourd'hui dans la vulgate psychologique, cette expression signifie que ce qui a été perdu peut sinon se retrouver du moins se remplacer dès lors que le désir se réinvestit dans un nouvel objet.
Ce qui revient à dire qu'un être peut se substituer à un autre, que l'être humain est essentiellement "substituable". je combats résolument cette idée : car l'être perdu reste éternellement perdu. C'était le sens de mon roman L'Enfant éternel, écrit après la mort de ma fille.

.Quand ma fille est morte, j'ai eu le sentiment stupide d'être soudainement devenu invulnérable. Quelque chose était arrivé, que je n'avais pas voulu, que j'aurais tout donné afin de pouvoir défaire, mais en quoi s'épuisait tout le chagrin du monde.

J'interprète un rôle. Comme tout le monde. Dans le mien - celui qui m'a échu, celui que j'ai choisi - il n'y a pas de place pour la peine que je vous confie. Que cela reste entre nous.

A celle où est celui qui pleure, on va répéter qu'un devoir moral s'impose : conserver la mémoire de celui qui a été perdu, mais sous une forme non menaçante pour soi-même et la ligue des vivants. Cela s'appelle : faire son deuil, comme on fait son lit, sa toilette, ses courses, comme en prison, on fait son temps ; comme on s'acquitte d'une besogne routinière et fastidieuse dont l'accomplissement est inéluctablement inscrit dans l'ordre des choses. Il faut être raisonnable, n'est-ce pas ?, ne pas s'insurger bêtement contre ce qui a été, accepter l'irrémédiable, surmonter le chagrin, oublier la peine, laisser...

. 86 : Une fois au moins, j’ai été libre. Mais l’expérience est si particulière que je doute que quiconque puisse la comprendre. Et je sais bien qu’en faire l’aveu passera pour scandaleux. Quand ma fille a été morte, l’univers s’est soudainement vidé de son sens, le temps est sorti de ses gonds, je me suis trouvé délivré de toutes mes obligations, - à l’égard du monde, à l’égard de moi-même - , flottant dans une sorte de néant où plus rien n’avait de prise sur moi : affreux et pitoyable aux yeux des autres mais libre d’une « liberté libre » qui, je le savais désormais, faisait tout le prix de la vie.

Je veux parler bien sûr de l’enfant que nous avions perdu. Le même vide vivait dans nos vies. Nous nous tenions au bord d’un grand trou qui, tout à coup, s’était ouvert devant nous, à l’intérieur duquel tout l’univers sensé s’était soudainement abîmé, un vide que les autres ignoraient mais duquel, en ce qui nous concerne, nous n’avions jamais pu durablement détourner le regard.

Il y a eu déjà beaucoup de livres à traiter du temps qui détruit tout, du néant qui nivelle, du grand rien où tout finit. Il y en aura encore beaucoup d’autres. Ils s’entassent dans des bibliothèques où personne ne les lit

Immense est la délicatesse des morts. Ils font tout leur possible afin que ceux qui les ont aimés ne s'aperçoivent pas qu'ils sont partis. Tardant à leur fausser compagnie. Pendant des années. Qui d'ailleurs durent autant que des siècles. Puisque le temps s'éternise où ils traînent. De manière à ce que quelque chose reste d'eux auprès de ceux auxquels ils font défaut et qui n'auraient pas la force de supporter leur absence sans le subterfuge des songes.

Chacun s’invente la religion qui lui paraît juste et digne. Je ne suis pas assez naïf pour ne pas réaliser que j’ai moi aussi ma religion. La conviction que je me suis faite que la mort est un scandale radical, dépourvu de sens, insusceptible d’être racheté dans l’économie d’une quelconque rédemption, constitue l’article unique d’un « credo » dans lequel j’ai investi toute ma foi et auquel je suis plus dogmatiquement attaché que le plus fanatique des fidèles ne l’est à son propre catéchisme. Devant la mort, il n’y a que des croyances.

Il y a bien des raisons de mourir. Sans doute y en a-t-il autant de vivre. C'est pourquoi les unes et les autres se tiennent plus ou moins en équilibre: on ne vit pas, on ne meurt pas, on se laisse vivre et puis on se laisse mourir. Moi, les quelques fois où j'avais pensé me tuer, je sais ce qui m'avait conservé vivant, le motif vraiment dérisoire au regard de tout le reste et qui pourtant avait fait que j'étais toujours là: la curiosité, le désir très stupide de savoir ce qui allait suivre, l'avidité de connaître ce que serait le lendemain vide qui m'attendait.

Je crois très sincèrement que chacun est le romancier de sa vie, qu'il donne la forme d'un rêve ou d'un récit. Moi aussi, comme tout le monde, j'ai fait un roman de ma vie et j'ai voulu que ce roman dise l'inexpiable crime de la mort d'un enfant. Mais, le livre refermé, je me trouvais tout aussi démuni qu'avant. Sauvé ? Certainement non. Gueri ? Meme pas. Vivant ? Tout juste.

La mort est la réalité. Il n'y a sans doute pas de sens à vouloir la refuser. Le discours de la religion, de l'idéologie, de la science, la vieille et immémoriale sagesse, le bons sens enfin nous ordonnent de l'accepter et de nous résoudre enfin à l’inéluctable.

Car être humain suppose à la fois de s'extirper du néant et de lui rester interminablement fidèle.

Perdre un enfant va contre les lois de la nature ; cela induit, outre la souffrance, un total bouleversement du rapport au temps, puisque, en se trouvant privé de la possibilité de transmettre, on est aussi coupé de l'avenir par lequel s'oriente le temps.

uelle est la parole de consolation la plus "inconsolante" que vous ayez entendu ?
Ph F : "ça va aller" C'est la pire chose qu'on puisse dire à quelqu'un qui est en deuil. Une pareille parole relativise sa douleur au motif de la soulager.
[...] Surtout ne pas essayer de consoler, mais au contraire être témoin de la personne en deuil dans son face à face à ce réel qu'elle ne peut pas éviter

Il vient un moment dans la vie- et sans doute est-il différent pour chacun- où l'on se retrouve à la merci du plus petit des chagrins. N'importe quelle peine se met à valoir pour toutes les autres : celles que l'on a déjà connues comme celles dont on sait qu'elles finiront par venir.

Le deuil m'a rendu à peu près illisible toute la littérature et surtout toute la philosophie.
Qu'avait à dire la philosophie de la mort d'un enfant ? Que peut-on faire des sagesses de l'acquiescement si l'on tient la mort pour un scandale absolu, dépourvu de sens et impossible à racheter dans l'économie d'une quelconque rédemption ?
Seul Kierkegaard, pourtant considéré comme un philosophe chrétien-mais qui n'est pour moi ni philosophe ni chrétien et que je lis comme un écrivain-, m'était secourable.

D'après Kierkegaard, le seuil conseil que l'on puisse donner à autrui est : "Désespère". Surtout ne pas essayer de consoler, mais au contraire inviter personnellement la personne en deuil à faire solitairement et souverainement face à ce quelque chose qu'elle ne peut pas éviter, et qui est la vérité du tragique. Je pense à la fameuse phrase de Faulkner à la fin de Si je t'oublie, Jérusalem : "Entre le néant et le chagrin, je choisis le chagrin". Un homme vient de perdre la femme qu'il aime et plutôt que de mettre fin à ses jours, il prend le parti de la peine qui lui permet de survivre et de maintenir le lien qui l'unissait à celle qui a disparu. Peut-être faut-il entendre la phrase en anglais : "Between grief and nothing I will take grief." En anglais, to grieve signifie "porter le deuil"

Tous les enfants sauf un

Vue depuis son envers, la société de consommation dans laquelle nous vivons est aussi une société de consolation. La même industrie fonctionne pour rendre le plaisir obligatoire et pour déclarer la douleur interdite

Publié dans Lectures, Citations

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